Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
les contes du réel
9 janvier 2019

Le coffret

116389996

 

 

 

 

Seul dans ce grenier complètement vide, Éric se dit qu’il gâchait sa vie. C’est alors qu’il vit la boîte. En se baissant pour ramasser le dernier carton, presque contre sa volonté, il mit la main dessus. Elle semblait surgie d’un passé sans âge. Éric eut d’abord la tentation de la remettre dans le carton et de refermer le tout, craignant ce qui pouvait se dissimuler dans une relique aussi ancienne. Le désir de découvrir les promesses qu’il sentait entre ses doigts fut le plus fort. Il souleva précautionneusement le couvercle. La boite s’ouvrit en exhalant une bouffée de poussière. Il n’y avait à l’intérieur qu’un rouleau de parchemin si blanc qu’il semblait avoir été déposé la veille. Éric le déplia très doucement et lut :

Celui-là à qui la magie est révélée

A lui seul deux vœux seront accordés

Car le don n’agit que pour toi qui lis ces tercets

Pour être exaucé tu devras énoncer

Je veux et j’exige, la formule consacrée

N’oublie pas Ici et maintenant pour l’achever

Il était tout à la fois perplexe et très excité. Il y croyait, il voulait y croire ! Il devait immédiatement faire un vœu pour vérifier si le charme opérait. Il réfléchit à ce qu’il pourrait bien demander. Il aurait voulu tellement de choses et pourtant à l’heure du choix rien de précis ne lui venait à l’esprit. Mû par une impulsion soudaine il prononça à haute voix « Je veux et j’exige 500€ ici et maintenant ». À peine avait-il terminé qu’il se sentit ridicule. Comment avait-il pu croire à cette fable ? Il ne se passa rien. Aucun génie prêt à se mettre à sa disposition n’apparut. Il était toujours seul dans ce grenier et c’était aussi bien que personne ne l’ait vu se livrer à de tels enfantillages.

Il examina la boite. Il s’agissait d’un coffret en bois délicatement ouvragé. La patine du bois luisait dans la lumière du grenier et au toucher le coffret était doux comme une caresse. Le couvercle était orné d’entrelacs finement ciselés et l’acier du fermoir était noirci par le temps. Et dire que cette journée était partie pour être une des plus mornes de son existence ! Il avait été requis par sa mère pour l’aider à vider la maison, ou plutôt la bicoque, d’un grand-oncle qui avait vécu en reclus. Et bien sûr, il n’avait pas pu se défiler alors qu’un adolescent en pleine possession de ses moyens comme l’était Éric avait des choses bien plus importantes à accomplir. Et voilà qu’il découvrait cette antiquité perdue dans ce grenier, avec cet étrange poème qui parlait de magie.

Il entendit sa mère l’appeler. Il ferma le coffret, le remit dans le carton. Il s’apprêtait à redescendre quand il aperçut un petit objet sur le sol au milieu du grenier. Il était pourtant sûr que l’instant d’avant il n’y avait rien à cet endroit. Il s’approcha en retenant sa respiration. Il s’agissait d’un petit portefeuille en cuir. Il le ramassa du bout des doigts. Il était léger, il l’ouvrit lentement.

Il compta et recompta, il y avait dix billets de 50€ et uniquement ces dix coupures dans ce portefeuille. Comment cela était-il possible ? Le portefeuille n’était pas là quand il était entré dans le grenier. La magie avait-elle réellement opéré ? En un éclair, il remit la main sur le coffret, l’ouvrit précipitamment et voulut dérouler le parchemin. Mais à peine l’avait-il touché qu’il s’effrita sous ses doigts en tombant en fine poussière. Qu’avait-il fait ? La magie fonctionnerait-elle à nouveau ? Il regretta amèrement d’avoir gaspillé son premier vœu avec un souhait si dérisoire. Il prit soudain conscience qu’il se souvenait mot pour mot du poème alors qu’il n’avait pas une excellente mémoire. Jusqu’à présent ! Voilà ce qu’il aurait dû demander, une mémoire prodigieuse, ou mieux un quotient intellectuel hors norme ! Il fallait qu’il choisisse très soigneusement son second et dernier vœu. Cette fois il prendrait le temps d’y réfléchir. Il redescendit en tenant le carton sous un bras et en serrant précieusement le coffret dans une main.

Les jours suivants il ne cessa de songer à ce mystérieux coffret. Sa mère n’avait fait aucune difficulté pour qu’il le garde. Il l’avait rangé parmi les affaires qui lui tenaient le plus à cœur, un disque acheté dans un vide-grenier et dédicacé par John Lennon lui-même selon les dires du vendeur, le premier volume des aventures de Harry Potter que lui avait offert son père juste avant qu’il ne tombe malade. Les 500€ étaient partis alimenter son livret d’épargne. Auparavant, il en avait dépensé une petite partie pour offrir à sa mère un joli bracelet. Après tout, c’était grâce à elle s’il avait découvert le coffret.

Il était obnubilé par le second vœu. Qu’allait-il demander, ou plutôt exiger selon la formule ? Il hésitait entre une intelligence supérieure et une beauté hors du commun mais il aurait voulu rester le même. Il s’aimait bien tel qu’il était ! Il pouvait demander à réussir tous ses examens mais il répugnait à gaspiller un vœu si précieux pour un objet aussi médiocre que la réussite scolaire. Non, ce dont il rêvait secrètement c’était d’être un véritable Dom Juan aux innombrables conquêtes, de plaire instantanément sans même ouvrir la bouche, de voir toutes les filles se pâmer devant lui et tous les garçons l’envier. Il joua avec cette idée. Partout où il passerait il laisserait des femmes éplorées et des hommes jaloux. Il secoua la tête, comme pour sortir de sa rêverie. Il n’avait pas envie de ces séductions factices. Il fallait qu’il continue à réfléchir à ce second vœu. Il avait tout le temps, il finirait bien par trouver ce qu’il désirait vraiment.

Cette année-là, il eut plusieurs fois la tentation de souhaiter réussir ses examens mais il tint bon et dans l’ensemble il n’eut pas à le regretter. Souvent il sortait le coffret pour le contempler. Il le caressait pour sentir la douceur du bois sous ses doigts. Après une contrariété ou lorsqu’il avait du vague à l’âme, il prit l’habitude de l’ouvrir et de chercher des yeux les traces du parchemin. La poussière accumulée dans le fond de la boîte était pour lui la preuve de la magie. Il se récitait les paroles du poème et alors une espérance confiante montait en lui. Tout lui était possible, il suffisait de demander.

Le cours de français était déjà bien entamé lorsqu’elle fit son entrée dans la salle de classe. Elle portait une parka blanche qui lui donnait des allures de cosmonaute. Comme il faisait plutôt bon dans la pièce, elle ôta son manteau et se transforma soudain en une ravissante jeune fille. Mme Pommeroy, la jeune enseignante qui tentait d’initier ses élèves aux subtilités du bovarysme l’interpella.

— Tu as besoin d’aide ?

— Oui. Je viens juste d’arriver, on m’avait aiguillé dans la mauvaise classe. Je m’appelle Élodie Blanchet.

— Eh bien, Élodie il semble que tu sois arrivée à bon port.

— Je m’assieds où ? 

La jeune fille affichait une certaine décontraction. Mme Pommeroy prit le temps de la réflexion, l’observant sous toutes les coutures avant de jeter un coup d’œil sur la classe. Puis, elle donna une réponse conforme à sa réputation.

 — Près du garçon que tu trouves le plus mignon.

Aussitôt l’agitation saisit la classe qui résonna de gloussements et de murmures.

— Silence ! coupa l’enseignante, laissez-là choisir.

Élodie parcourut lentement l’assistance, dédaignant les fanfarons qui lui faisaient des signes. Au moment où le regard d’Élodie glissa sur son dos, Éric tourna la tête vers elle. Ils restèrent ainsi quelques secondes, les yeux dans les yeux, se jaugeant posément, jusqu’à ce que les gloussements et les murmures ne reprennent.

— Marlène, viens au premier rang, trancha Mme Pommeroy.

Et Marlène, qui était assise à côté d’Éric, prit ses affaires en affichant une moue désapprobatrice pour laisser la place à la belle et mystérieuse Élodie.

À la fin de la journée, Élodie et Éric étaient devenus inséparables. Ils firent le chemin du retour côte à côte, Élodie venait d’emménager tout près d’Éric. Avec avidité ils se livrèrent, échangeant sur tous les sujets. Ils se découvraient des passions communes, la littérature fantastique, les films de science-fiction. Ils partageaient les mêmes rêves, parcourir le monde et d’abord New-York. Et ils avaient le même idéal d’absolu et de liberté. Une fois arrivés, ils eurent beaucoup de mal à se quitter. Ce soir-là, seul avec sa mère, Éric se sentit étrangement absent, comme si une partie de son être était restée près d’Élodie. Une fois couché, son cœur se mit à battre à tout rompre. Ce ne fut que lorsqu’il ouvrit puis referma le coffret qu’une paix bienfaisante tomba sur lui. Alors, malgré son exaltation, il s’endormit immédiatement.

Bien des années après il suffisait à Éric de se rappeler la période qui avait suivi pour retrouver la nostalgie de ces jours heureux.

 

Pour lire la suite, rendez-vous sur :

Les contes du réel: Recueil de nouvelles

Et s'il ne vous restait qu'un seul vœu à accomplir ? Si vos rêves étaient prémonitoires ? Si vous aviez le souvenir de vos vies antérieures ? Si la science permettait à chacun de vivre éternellement jeune, mais dans l'angoisse de la mort ? Si le gouverneme...

https://www.amazon.fr
Publicité
Publicité
Commentaires
les contes du réel
  • Pour les amoureux des histoires à rêver debout, à méditer dans n’importe quelle position, à rire parfois, pleurer un peu, vibrer toujours. Si vous aimez ce que vous lisez, n'hésitez pas à participer à ce blog par vos commentaires qui seront appréciés
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité