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les contes du réel
9 janvier 2019

Les prophéties des temps révolus

117878667é

 

 

  

— Docteur, je viens vous voir parce que je fais des rêves prémonitoires.

Enfoncé dans un confortable fauteuil, face au médecin, le petit homme rondouillard à la calvitie prononcée ne cessait de triturer son chapeau. Le praticien ôta ses lunettes pour consulter la fiche posée sur son bureau. Son œil exercé avait déjà noté les traits tassés par la fatigue, qui ajoutaient quinze ans aux quarante-cinq inscrits sur la fiche.

— Je vous remercie très sincèrement de me recevoir, d’autant que je sais que vous êtes un psychiatre très sollicité.

Le petit homme parlait d’une voix aigüe avec un débit haché, comme si chaque mot lui demandait un effort.

Le médecin leva la main dans un geste de protestation.

— Si, si, docteur, votre réputation n’est plus à faire et d’ailleurs, le docteur Le Bail qui m’envoie, ne tarit pas d’éloges sur vous. Elle m’a dit, et ce sont ses mots précis, « Monsieur Ledoux, si quelqu’un peut quelque chose pour vous, ce ne peut être que le docteur Halphand, il s’est fait une spécialité des cas singuliers comme le vôtre ».

Comme s’il en avait déjà trop dit, le petit homme se tut. Le docteur Halphand, qui était un séduisant quinquagénaire, avait la faculté de moduler sa voix à l’envie tel un véritable instrument dont il maitrisait à la perfection les subtilités. C’est sur un ton apaisant qu’il s’exprima.

— Et si vous me racontiez comment tout cela a commencé. Prenez votre temps, Monsieur Ledoux, je ne vous interromprai que si des points me paraissent obscurs.

Le patient se racla la gorge pour s’éclaircir la voix, puis entama son récit.

— La première fois, c’était il y a deux ans. Dans mon rêve, je suis assis devant la table de la cuisine et je regarde l’horloge devant moi. Soudain, les aiguilles se mettent à s’emballer et tournent à toute vitesse. Elles s’arrêtent brusquement et je vois alors qu’il est exactement huit heures. Aussitôt, je me retrouve debout dans un hall immense, richement décoré, avec des tapis au sol et des lustres en cristal blanc accrochés à des plafonds dorés, comme dans un palais. Je suis au milieu d’une foule d’inconnus qui regardent tous dans la même direction. Leurs lèvres remuent simultanément et je comprends qu’ils sont en train de compter. Au bout d’un moment, je réalise qu’il s’agit d’un très lent décompte, « cinq, quatre, trois ».

Un à un, il égrenait les chiffres.

— Le décompte est de plus en plus lent, « deux ». On dirait qu’il ne va jamais arriver au terme, « un ». Le temps semble suspendu et tout à coup, c’est une explosion de joie dans la foule. Les gens crient, tapent des pieds, applaudissent, ils sont comme hystériques. La scène est silencieuse, comme dans un film muet, mais je peux voir qu’ils sont fous de joie. Je m’aperçois alors qu’ils regardent un écran géant sur lequel apparaissent deux portraits qui se font face. Il s’agit d’un homme et d’une femme que je ne connais pas. Au-dessus de chaque portrait s’affiche un nom et au-dessous un pourcentage. Et là, je me réveille brusquement. C’est comme ça que j’ai su que le président Mercier serait élu face à Christine Bosson, avec cinquante-huit pour cent des suffrages, ce qui est advenu comme vous le savez.

Un léger sourire flotta sur les lèvres du psychiatre.

— Vos rêves sont très précis. Cependant, permettez-moi de vous rappeler, qu’avant l’élection, tous les sondages donnaient le président Mercier vainqueur sans coup férir. Quand à l’exactitude du score, elle peut facilement s’expliquer.

— Vous avez raison, Docteur, sauf que j’ai fait ce rêve plusieurs mois avant que Michel Mercier ne se déclare, alors qu’il était encore un parfait inconnu. Comment expliquez-vous ce phénomène ? 

Les deux mains agrippées à son chapeau, la gorge nouée, Monsieur Ledoux semblait lancer un appel à l’aide.

— Pardonnez mon interruption. Je vous en prie, poursuivez, vous avez parlé de rêves au pluriel.

La douceur du ton eut pour effet de détendre le patient.

— Avant de passer aux autres rêves, permettez-moi de vous donner quelques compléments sur celui-ci. Ce premier rêve m’a paru si insolite que je l’ai noté dans un carnet.

Comme le psychiatre s’apprêtait à intervenir de nouveau, il s’empressa d’ajouter.

— Non, docteur, ça n’est pas mon habitude de noter mes rêves mais celui-ci m’a tellement marqué, qu’au réveil, je me suis empressé de le retranscrire, de peur de l’oublier. Sur le moment, j’ai cru que c’était un de ces rêves qu’on fait quand on est perturbé, vous savez, quand on est mal fichu ou dérangé, bien que celui-ci n’ait rien eu d’angoissant. Non, je le trouvais plutôt incongru d’autant que je ne m’intéresse pas à la politique. Cependant, il y avait dans ce rêve une atmosphère étrange, un je ne sais quoi de mystérieux. Bref, une fois le carnet refermé, je me suis empressé de l’oublier, alors, imaginez ma stupeur, quand, quelque temps plus tard, j’ai entendu parler, pour la première fois, ou plutôt dans mon cas, pour la seconde, de Michel Mercier. Je n’en revenais pas, si tout n’avait pas été inscrit noir sur blanc, moi-même, je ne l’aurais pas cru.

— Ce carnet, vous l’avez avec vous ?

— Je suis désolé, je ne l’ai pas amené mais je pourrais l’apporter une prochaine fois. Il y aura bien une prochaine fois, Docteur ? interrogea timidement Monsieur Ledoux.

— Concentrons-nous sur cette séance. Que s’est-il passé ensuite ?

— Vous voulez parler du second rêve ?

— À vous d’en parler, Monsieur Ledoux, répondit le médecin en affichant un sourire l’invitant à poursuivre.

— Eh bien, le deuxième rêve a eu lieu il y a six mois.

Le patient examina son chapeau puis releva la tête pour chercher le regard du psychiatre. Ce dernier le fixait attentivement, les mains jointes, la tête un peu penchée, le visage inexpressif. Monsieur Ledoux prit une inspiration.

— Cette fois, je suis dans une concession automobile avec mon cousin Louis. Il faut vous dire que nous sommes, je devrais plutôt dire, étions, fâchés avec Louis. Dans mon rêve, Louis me désigne un cabriolet rutilant, il grimpe dans le véhicule à la place du chauffeur et m’invite à ses côtés. L’instant d’après nous roulons à vive allure sur la route de la corniche. Il fait nuit et la Lune brille d’un éclat lumineux. Louis me parle en me fixant, sans regarder la route. Je n’entends pas ce qu’il me dit. Les virages se succèdent de plus en plus vite, la voiture accélère encore. Je sais que nous allons rater un virage et nous écraser des centaines de mètres plus bas. Soudain, la voiture quitte la route. Louis lâche le volant et je l’entends me dire : « Je suis désolé ». Le cabriolet plane un instant dans les airs avant d’entamer une chute vertigineuse. Je me recroqueville sur mon siège dans l’attente du choc et c’est à ce moment que je me réveille en sursaut.

Il s’interrompit, baissa la tête, puis il poursuivit les yeux fixés sur son chapeau.

— J’étais bouleversé. Je me suis assis dans mon lit, j’ai saisi mon téléphone pour appeler Louis. Voyant qu’il était trois heures et demie du matin, j’ai reposé le téléphone et je me suis levé. Le rêve avait été si prenant que je l’ai aussitôt noté dans le carnet. Cette nuit-là, je n’ai pas pu me recoucher. Le lendemain matin, une fois la tension retombée, j’ai renoncé à appeler, ne sachant trop quoi dire. Cinq jours sont passés ainsi, avec ce fichu rêve qui me hantait. N’y tenant plus, j’ai enfin appelé Louis à son domicile. Je suis tombé sur sa femme qui a fondu en larmes lorsqu’elle m’a reconnu. Avant même que je demande des nouvelles de son mari, elle m’a dit : « Alors, tu es au courant. Il voulait t’appeler, tu sais. Il aurait voulu que vous vous réconciliiez, il me l’a dit, juste avant, juste avant de… », elle n’a pas pu continuer. J’ai aussitôt compris. D’une certaine manière, je savais déjà. J’ai présenté mes condoléances, j’ai dit que moi aussi, j’aurais voulu qu’on se parle une dernière fois, que tout redevienne comme avant. Bien sûr, je n’ai pas parlé du rêve. C’est à la cérémonie funèbre que j’ai appris qu’il avait fait une sortie de route entre Marseille et Cassis, à bord de la Corvette C6 qu’il venait de s’offrir. Il semble qu’il ait perdu le contrôle de son véhicule dans un virage très serré. Le véhiculeest parti en travers et a fini au fond d’un ravin. On a retrouvé le moteur à plus de trente mètres, un choc effroyable.

Le patient se tut. Dans le cabinet, seul s’élevait le bruit de son souffle saccadé. Lorsque sa respiration fut redevenue normale, après plusieurs secondes d’un silence interminable, le docteur Halphand prit la parole.

— Monsieur Ledoux, qu’attendez-vous de moi ?

Le petit homme releva vivement la tête.

— Docteur, je veux comprendre ce qui m’arrive. Je ne dors plus. Toutes les nuits, je me réveille à deux ou trois heures du matin. Le soir, je tombe de sommeil mais je repousse le moment d’aller me coucher. Au travail, je suis une véritable loque. Je ne supporte plus rien, ni ma femme, ni mes enfants. Par-dessus-tout, j’ai peur. Le premier rêve m’avait déjà profondément marqué, le second m’a bouleversé. Depuis, je vis dans la hantise du prochain.

— Avez-vous jamais songé que s’il devait y avoir un autre rêve, il pourrait être porteur de bonnes nouvelles ? Après tout, le premier n’était pas si tragique.

— Quelque chose en moi me dit que je suis devenu, pour une raison mystérieuse, un prophète de malheur. J’ai le pouvoir de prédire des choses terribles qui arrivent effectivement, comme si c’était moi qui les avaient provoquées.

— Vous vous sentez coupable pour la mort de votre cousin ?

— Oui, exactement, acquiesça Monsieur Ledoux. J’ai beau me dire que je n’y suis pour rien, je ne peux m’empêcher d’éprouver un sentiment de culpabilité.

— C’est tout à fait normal, assura le Docteur Halphand d’une voix basse, presque sur le ton de la confidence. Rêver la mort d’un proche, c’est presque la souhaiter. Et pourtant, cela se produit plus souvent qu’on ne croit. Dans ma pratique, je vois régulièrement des hommes, des femmes, sans parler d’enfants, qui font de tels rêves, heureusement rarement suivis d’effet. Mais lorsque le rêve devient réalité, même longtemps après, le traumatisme est très difficile à surmonter.

Puis, il adopta un ton plus neutre pour déclarer :

— La séance touche à sa fin. Je vous propose de nous revoir. En attendant, je vais vous prescrire un anxiolytique et un somnifère. Surtout, respectez bien la posologie.

Tandis qu’il rédigeait l’ordonnance, il interrogea à nouveau Monsieur Ledoux.

— Avant de nous quitter, pouvez-vous me dire commentvous vous informez?

— Je regarde le journal télévisé et je lis le quotidien régional, Les premières nouvelles de l’Aube.

— Je vous remercie. N’oubliez pas de revenir avec ce fameux carnet.

— C’est moi qui vous remercie, Docteur, s’empressa de répondre Monsieur Ledoux.

L’agenda du psychiatre était si chargé que le second rendez-vous n’eut lieu que deux semaines plus tard. Le petit homme rondouillard piaffait d’impatience dans la salle d’attente. Enfin, le docteur Halphand lui fit signe d’entrer. Avant même de s’installer, le patient brandit un petit cahier d’écolier.

— Je vous ai apporté le carnet, Docteur, dit-il plein d’espoir.

— Très bien. Je vais commencer par le lire.

Le médecin ouvrit le cahier, ôta ses lunettes et se plongea dans la lecture du manuscrit. Lorsque celle-ci fut terminée, il referma le cahier et se tourna vers son interlocuteur en arborant un large sourire.

— Vous avez une excellente mémoire, le récit de vos rêves est en tout point conforme à ce que vous m’avez relaté. Comment vous sentez-vous depuis la dernière séance ?

— Je me sens mieux. Vos paroles semblent avoir fait leur effet.

Il se tut, se mordit la lèvre inférieure d’un air embarrassé avant dereprendre.

— Docteur, croyez-vous que mes rêves soient prémonitoires ?

Le médecin se pencha en avant, posa ses coudes sur son bureau, croisa les mains avant de répondre posément.

— Permettez-moi de répondre à votre question par une autre question. Quelle est la fonction du rêve ? Les anciens croyaient que le rêve était la voie d’accès au monde du divin et du surnaturel. Les Égyptiens, par exemple, considéraient qu’un rêve pouvait révéler l’avenir et ils avaient recours à la clé des songes. Le pharaon rêvant de sept vaches grasses puis de sept vaches maigres fait appel à Joseph pour connaitre le sens de ce rêve prophétique. Plus tard, Freud va désacraliser le rêve en le considérant comme la voie qui mène à l’inconscient. Il revient alors au rêveur lui-même d’interpréter le rêve. Aujourd’hui, la science considère que le rêve aurait pour fonction de faciliter la mémorisation et la régulation des émotions.

Il fit une pause, son regard se perdit quelque part derrière son interlocuteur comme s’il se remémorait un souvenir personnel. Ses yeux se fixèrent à nouveau sur le patient devant lui et il reprit.

— Cependant, pour chacun d’entre nous, qui faisons l’expérience du rêve, nous sommes parfois saisis par l’étrangeté de son contenu et son impact émotionnel. Dans ce cas, il est naturel de chercher à donner du sens à l’absurde ou à tenter de déchiffrer ce qui parait un rébus ou une énigme. Pour en revenir à ce qui vous préoccupe, il me parait essentiel que vous parveniez à comprendre d’où provient l’angoisse que vous exprimez face à ces rêves. C’est pourquoi, il peut être instructif d’analyser ses rêves : comme on visionnerait, après coup, une vidéo de surveillance pour y découvrir les indices d’un forfait.

— Pourtant, ...

 

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Les contes du réel: Recueil de nouvelles

Et s'il ne vous restait qu'un seul vœu à accomplir ? Si vos rêves étaient prémonitoires ? Si vous aviez le souvenir de vos vies antérieures ? Si la science permettait à chacun de vivre éternellement jeune, mais dans l'angoisse de la mort ? Si le gouverneme...

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